Assises de La Réunion contre les violences intrafamiliales

Mis à jour le 29/12/2023
Discours Assises VIF
Saint-Denis de La Réunion, le 31 mai 2023

Allocution de M. Jérôme FILIPPINI, Préfet de La Réunion,

en ouverture des Assises de La Réunion contre les violences intrafamiliales.

Seul le prononcé fait foi.

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Mme la présidente du conseil régional,

Monsieur le Président du conseil départemental,

Mesdames et Messieurs les élus,

Madame la procureure Générale,

Monsieur le directeur général de l’ARS,

Mesdames et Messieurs en vos titres et fonctions,

Je vous remercie pour votre présence en nombre et en qualité. J’y vois le signe d’un intérêt partagé et authentique pour poursuivre et renforcer la lutte contre les violences intrafamiliales.

J’adresse tous mes remerciements à Mme la présidente du conseil régional pour l’accueil de la manifestation sur le site du MOCA.

 

*

 

Pourquoi nous réunir sur ce sujet, à nouveau, sept ans après les états-généraux de 2016, quatre ans après le Grenelle de 2019 ? Pourquoi agir ?

Nous devons agir, parce que la lutte contre ces violences constitue un enjeu prioritaire de politique publique, comme l’a marqué Mme la première Ministre lors de son récent déplacement à La Réunion, et comme vient de le rappeler la ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances dans le message qu’elle nous a adressé ce matin.

Nous devons agir, surtout, parce que la situation nous oblige, nous convoque, avec une vérité et une dureté des chiffres qu’il faut regarder en face :

  • La Réunion occupe la 3ème ou 4ème position des départements affichant le plus de violences intra-familiales.
  • S’agissant des violences sexuelles, le taux pour 1000 habitants est de 0,64 contre 0,44 au niveau national : le risque d’être victime de violences sexuelles est ainsi près de 50 % plus élevé.
  • En 2022, sur 11 208 victimes de violences à La Réunion, 1 personne sur 2 l’est au sein de la famille. Les violences conjugales sont les plus représentées, composant 70% des violences intrafamiliales. Les femmes sont très majoritairement victimes de ces violences conjugales.
  • 19 féminicides ont eu lieu à La Réunion depuis 2015, dont 3 en 2021 et 2 en 2022.

Ces chiffres nous obligent, et leur évolution aussi : les violences constatées ne cessent d’augmenter, y compris depuis ce début d’année 2023, et ce dans une proportion bien plus importante qu’au niveau national : + 22 % de victimes (contre + 11 % au niveau national).

Bien sûr, ces chiffres qui nous assaillent sont aussi la contrepartie d’une évolution sociale et institutionnelle qu’il faut saluer : autrefois, il y a peu d’années encore, les victimes ne se présentaient pas devant la police ni devant la justice, et si elles se faisaient connaître, elles étaient parfois écoutées, parfois accompagnées, au pire dissuadées ou découragées. En 2022, chaque jour 9 femmes se sont présentées en moyenne dans les services de police et de gendarmerie pour violences conjugales, elles étaient 4,7 en moyenne en 2015 et 7,4 en 2021. Cette augmentation peut donner le vertige, mais elle doit aussi être lue positivement. La libération de la parole est le résultat d’années, de décennies de combat, d’associations et de personnalités engagées dans la lutte contre les violences et pour l’égalité des droits, ici à La Réunion comme partout en France et plus difficilement dans le monde ; des associations et des personnes que je veux ici saluer, devant vous.

Le 6 novembre 2022, Charlotte Dalleau était assassinée par son conjoint. C’était le deuxième féminicide de l’année, après celui d’Elise Ramassamy en mars. Interpellé par plusieurs associations, j’ai pris l’engagement de placer l’année 2023 à La Réunion, sous le signe de la lutte contre les violences intra-familiales. Je veux dédier ces Assises à ces deux femmes, comme à toutes les victimes des violences que nous n’avons, collectivement, pas su éviter au cours des dernières années.

Les Assises qui nous réunissent aujourd’hui visent à nous remobiliser contre ce fléau que constituent les VIF à La Réunion. Elles s’inscrivent, je l’ai dit, dans la continuité des États généraux des violences faites aux femmes en 2016 et du Grenelle de lutte contre les violences conjugales en 2019. Ces temps de réflexion et d’action ont opéré un véritable tournant dans la politique de prévention et de lutte, notamment à La Réunion, où la parole des victimes est enfin mieux prise en compte, et où les dispositifs se multiplient.

Au fil des années, de nouveaux acteurs publics et privés se sont impliqués en faveur du déploiement d’une politique volontariste de prévention et de lutte contre les violences.

En effet, comme l’a rappelé à l’instant la ministre de l’égalité, le Gouvernement, les collectivités, la justice, la santé, les associations investissent fortement dans la lutte contre les violences intrafamiliales. C’est singulièrement vrai à La Réunion :

  • 76 gendarmes et 46 policiers sont aujourd’hui dédiés exclusivement au traitement des procédures
  • 55 référents violences intrafamiliales, sexuelles et sexistes sont affectés en zone gendarmerie, 8 en zone police ;
  • 13 et bientôt 14 intervenantes sociales en commissariat et en gendarmerie, cofinancés par l’État et le département ;
  • Enfin La Réunion peut s’enorgueillir de porter des dispositifs innovants comme : la Maison de la protection de la famille de Saint-Denis, visitée par la Première ministre ; le pré-dépôt de plainte au centre hospitalier de Saint-Benoît ; ou encore les permanences en centres commerciaux, qui ont accueilli plus de 3.000 femmes en 2022.

Ces efforts vont se poursuivre : Madame Rome a lancé, ici, en mars dernier, le « Pack Nouveau Départ » qui sera expérimenté et même construit à La Réunion, pour tenir compte de notre expérience et de nos spécificités. Et la Première ministre, le 12 mai, a annoncé la création de trois nouvelles brigades mobiles de gendarmerie, dédiées à la lutte contre les VIF.

C’est un engagement de tous qu’il faut ici saluer : des collectivités locales, mais également de l’ensemble du tissu associatif et de tous les partenaires qui oeuvrent sans relâche à la lutte contre ces violences.

Nous ne partons donc pas de rien, et nous pouvons mesurer le chemin parcouru en quelques années. Pourtant notre regard et nos efforts doivent encore évoluer et prendre davantage en considération les violences envers toutes les victimes, sans distinction d’âge, de sexe ou d’origine. Cette mobilisation et ces efforts doivent se poursuivre en termes d’hébergement d’urgence, notamment, de protection de l’enfance et de prise en charge des victimes.

En effet, si les violences faites aux femmes sont aujourd’hui mieux prises en compte, bien légitimement puisqu’elles sont encore aujourd’hui la très grande majorité des victimes,  les violences faites aux enfants ainsi qu’à certains hommes demeurent encore malheureusement moins traitées. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité que ces Assises se mobilisent contre les « violences intrafamiliales ».

La journée d’aujourd’hui sera un temps de réflexion et d’échanges sur l’origine des maux liés aux VIF, mais elle vise également à faire émerger des pistes d’actions pour une meilleure prise en charge des victimes.

La matinée nous permettra ainsi de revenir sur les causes multi factorielles des VIF. Si, indubitablement, cette violence puise ses racines dans l’histoire et la sociologie de La Réunion, celles-ci ne constituent pas la seule et unique explication.

L’après-midi, quant à elle, sera consacrée à 4 ateliers portant sur : la prise en charge pluridisciplinaire des victimes ; des enfants co-victimes ; de du parcours de santé des femmes ; et enfin des auteurs.

Au-delà du constat partagé, il s’agira de faire émerger des pistes de travail et d’action dans ces domaines pour améliorer la lutte contre les violences intrafamiliales.

Je remercie par avance chacune et chacun d’entre vous pour votre contribution et votre mobilisation. Comme je l’évoquais précédemment, c’est l’engagement de toutes et tous qui permettra de faire reculer ce fléau. Ensemble, faisons de la lutte contre les VIF l’une des grandes causes de La Réunion.

Il ne sera  bien sûr pas possible aujourd’hui de traiter de tous les sujets liés aux VIF. Une seule journée n’y suffirait pas, mais tous les sujets que nous n’aurons pas eu le temps d’aborder lors de cette journée feront l’objet de travaux complémentaires. C’est bien en cela que le 31 mai 2023 constituera un point d’étape et non une fin en soi.

Les conclusions des Assises nourriront notamment les travaux du Comité local d’aide aux victimes « Violences intrafamiliales » qui se réunira le 29 septembre prochain suivant 2 axes de travail : les violences conjugales ; et la protection de l’enfance contre les violences faites aux mineurs.

Vous le savez mieux que moi : le progrès dans la lutte contre les violences intrafamiliales passe par des politiques publiques plus intégrées au service de la cohésion sociale et du vivre ensemble entre les femmes, les hommes et les enfants du territoire. Il passe également par une prise de conscience et de responsabilité collective de la société réunionnaise dans toutes ses composantes pour relever cet immense défi social et sociétal de La Réunion du XXIème siècle, trouver le chemin de l’action et porter un message d’avenir.

Construire une société apaisée et protectrice des droits, capable de tenir ses promesses d’égalité ne peut se faire sans travailler sur ce premier lieu du vivre-ensemble que constitue la famille réunionnaise.

 

Merci à toutes et tous pour votre présence. Je nous souhaite des travaux féconds.

Télécharger Allocution Jérôme Filippini - Assises VIF PDF - 1,27 Mb - 31/05/2023