Cérémonie pour la mémoire des « enfants de la Creuse »

Mis à jour le 21/11/2023
Lundi 20 novembre 2023 – Saint-Paul

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Madame la Présidente du Conseil régional ,

Monsieur le Président du Conseil départemental,

Monsieur le Maire de Saint-Paul,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs les présidents d’association,

Mesdames et Messieurs les ex-mineurs,

Mesdames, Messieurs,

C’est avec beaucoup d’émotion que je suis parmi vous aujourd’hui, comme je l’étais il y a un an à la mairie de Saint-Denis, pour commémorer l’histoire des enfants Réunionnais dits de la Creuse.

Même si cette commémoration est douloureuse pour beaucoup d’entre vous, il est essentiel de nous réunir pour ne pas oublier, pour porter ensemble ce devoir de mémoire.

Les commémorations comme celles-ci doivent également nous conduire à nous interroger sur les actions que nous portons, sur leur justification et sur leur bien fondé.

Elles doivent nous amener à nous interroger sur leur conformité aux valeurs de notre République, valeurs pour lesquelles nous nous sommes engagés à servir nos concitoyens.

Reconnaître les fautes et les erreurs du passé n’est pas un exercice de contrition. Connaître l’histoire, porter sur elle un regard sévère, ce n’est pas s’enfermer dans le passé. C’est bien plutôt faire notre travail du temps présent, et construire un avenir commun, serein et apaisé.

La journée du 20 novembre ; ce lieu où nous nous trouvons, le centre Cimendef ; la pose d’une œuvre d’art de Nelson Boyer : ce sont autant de symboles forts qui rendent ce moment d’autant plus solennel.

En effet, le 20 novembre, c’est la journée internationale des droits de l’enfant. 

En 1959, l’assemblée des Nations-Unies adoptait la Déclaration des droits de l’enfant. Mais, il fallut attendre 30 ans plus tard, en 1989, pour que la Convention relative aux droits de l’enfant soit signée.

La Convention met en avant quatre principes fondamentaux concernant les enfants : la non-discrimination, l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit de vivre, survivre et se développer ainsi que le respect des opinions de l’enfant.

Cette Convention, qui est le traité international le plus ratifié en matière de droits de l’homme, définit une liste de droits de l’enfant comprenant le droit à la vie, à la santé, à l’éducation, et le droit de jouer, ainsi que le droit à une vie de famille, à être protégé de la violence et de la discrimination, et de faire entendre sa voix.

Il faut le dire simplement, sans détour : ce qu’on appelle l’histoire des enfants de la Creuse, votre histoire, notre histoire, a été une violation de ces principes.

En effet, le déplacement forcé de plus de 2.000 enfants réunionnais dès 1962 vers les départements ruraux de l’hexagone, et ce jusqu’en 1984, contrevient totalement aux droits inaliénables de l’enfant édictés par les textes internationaux.

Ces enfants ont été déracinés, contre leur gré et celui de leur famille.

Et cette histoire a été longtemps méconnue, pour ne pas dire enfouie. Ce n’est qu’au début des années 2000 qu’a été enfin considéré le préjudice social et affectif de ces victimes accompagné d’un devoir de réparation.

Il a fallu attendre le vote de la loi portée en 2014 par une résolution mémorielle de Mme Ericka Bareigts, alors députée, pour que la République reconnaisse officiellement sa responsabilité morale à compter de cette date. Il s’agit d’un tournant dans cette histoire tragique.

Cette reconnaissance historique a été confirmée trois ans plus tard par le président de la République, Emmanuel Macron, qui reconnaît une faute de l’État, laquelle, je le cite, « a aggravé dans bien des cas la détresse des enfants qu’elle souhaitait aider. »

 

Cette année, l’UNICEF France consacre la Journée mondiale de l’enfance aux droits de l’enfant dans les territoires ultramarins.

Cette journée mondiale dédiée aux enfants des Outre-mer fait écho au passé des anciens mineurs que vous êtes.

Par ailleurs, le choix du centre Cimendef est un symbole fort. Cimendef, qui signifie « non-esclave » en malgache, était un esclave marron qui marquera l'histoire de l'esclavage à La Réunion. Il se baptisera lui-même Cimendef une fois délivré de ses chaînes et donnera ensuite son nom à un sommet rocheux séparant Mafate et Salazie.

Comme les enfants dits de la Creuse ont été arrachés à leur famille, à leur île, les esclaves l’ont été de leurs terres.

Cette histoire de la Réunion s’incarne pleinement dans les œuvres de Nelson Boyer.

L’oeuvre d’art que je vais remettre dans quelques instants a été réalisée par Nelson Boyer, que je salue pour son travail et son engagement.

C’est à lui que nous devons la stèle commémorative qui a été érigée à l'entrée de l'aéroport de Saint-Denis de la Réunion, au confluent des départs et des retours et qui consacre le déracinement des enfants de la Creuse.

C’est aussi quatre de ses œuvres que nous retrouvons au musée Villèle.

Et c’est enfin, Nelson Boyer qui a façonné la stèle sur l’esclavage, œuvre imposante et massive, sculptée dans un seul bloc en basalte, inaugurée en 2012 ici même à Saint-Paul. Elle représente la figure d’Elie et de ses frères de combat, exécutés en 1812, après leur arrestation et leur condamnation suite à leur participation à la rébellion de Saint-Leu. 

En travaillant la terre, la roche ou le bois, Nelson Boyer retranscrit l’histoire, les émotions et la créolité.

Cette histoire douloureuse résonne avec celle des mineurs déplacés, avec leur parcours personnel.

Je salue chacune et chacun d’entre vous et m’associe à votre effort de mémoire.

Et si nous voulons montrer que votre histoire ne nous a pas laissés indifférents, si nous voulons, nous qui sommes désormais en responsabilité, être à la hauteur des principes et des valeurs de la République, alors, ensemble restons vigilants, protégeons les citoyens les plus fragiles et soyons les garants du respect de leurs droits et de l’égalité de tous.

Nous commettrions une nouvelle faute si, pris par l’émotion légitime et soulagés par le jugement du passé, nous ne faisions pas, à notre tour, dans le contexte d’aujourd’hui, dans nos responsabilités d’aujourd’hui, tout ce qui est en notre devoir pour protéger les droits de chaque enfant réunionnais : son droit à la santé, en luttant contre les inégalités de destin liées aux difficultés d’accès au soin ; son droit à l’éducation, en construisant une école encore plus inclusive à l’égard des enfants à handicap ; son droit au logement, en rattrapant le déficit de logement qui frappe notre île ; son droit au bonheur, en permettant aux familles les plus pauvres de vivre dans la dignité.

Si nous relevons, aujourd’hui, ensemble, ces défis d’aujourd’hui, alors nous aurons montré que nous avons tiré les leçons du passé.

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